Israël a lancé mercredi 14 novembre l'opération "Pilier de défense" contre Gaza.
Selon le Hamas, au moins 25 personnes ont été tuées dans des raids
israéliens. Le mouvement islamiste au pouvoir à Gaza a été directement
visé lorsqu'un missile israélien s'est abattu sur le véhicule de son
chef militaire, Ahmad Jaabari. Enseignant et doctorant en science
politique, spécialiste de la politique palestinienne et auteur d'A la
recherche de la Palestine, au-delà du mirage d'Oslo (Editions du Cygne),
Julien Salingue décrypte les enjeux pour le Hamas.
Quelles sont les raisons pour lesquelles Israël a lancé une offensive contre la bande de Gaza?
Julien Salingue: Il y a deux considérations. Une qui
relève de la politique intérieure, l’autre de politique extérieure.
D’abord, ça devient de plus en plus une tradition en Israël: les
campagnes électorales s’accompagnent d’une attaque. La dernière
opération contre Gaza en 2008-2009 («Plomb durci»), c’était aussi
pendant une campagne. Le gouvernement de Benyamin Netanyahou est tenté
d’être dans une confrontation militaire pour radicaliser la société
israélienne. Ils savaient très bien que le Hamas ne manquerait pas de
riposter. Ils comptent convaincre un certain nombre d’électeurs que la
meilleure option demeure les plus radicaux, eux-mêmes.
Ensuite, on est à deux semaines d’un probable vote aux Nations unies
sur le statut de la délégation palestinienne pour son admission comme
État nom membre. Israël n’en veut pas mais est minoritaire à l’ONU sur
cette position. En lançant une confrontation militaire avec Gaza, il
soude derrière lui une partie des hésitants tentés de ne pas vouloir se
prononcer, pour ne pas donner l’impression de soutenir les Palestiniens
contre Israël. Les réactions d’une partie de l’Union européenne montrent
que cela fonctionne. Très nuancées, elles renvoient dos à dos le Hamas
et Israël.
L’assassinat du chef militaire du Hamas, Ahmad Jaabari, porte-t-il un coup dur au mouvement?
Julien Salingue: Au Hamas, Jaabari était un chef militaire, mais il jouait aussi un
rôle politique central dans la bande de Gaza. Il était en charge depuis
quelques années du maintien de l’ordre. Son rôle était d’assurer, si
nécessaire, le calme aux frontières, aux points de contact avec Israël.
Ce n’est pas un hasard si c’est lui qui, on l’a appris dans le quotidien
israélien Haaretz, était en train d’élaborer une proposition de trêve
avec Israël sous supervision égyptienne. On est loin de l’image qu’on a
voulu nous présenter, celle d’un chef de groupes qui tirent des
roquettes sur Israël. Finalement, ceux qui au Hamas défendent depuis
plusieurs années le principe d’une solution politique et de négociations
sont affaiblis.
Le Hamas va-t-il exploiter cette intervention pour renforcer son emprise sur Gaza?
Julien Salingue: Il y a quelques mois, le Hamas a créé une force de trois cents hommes
chargée de dissuader les autres groupes de tirer des roquettes sur
Israël. Alors que le blocus, les bombardements et les incursions se
poursuivaient, cette mesure n’était pas populaire. Une partie de la base
du Hamas jugeait qu’il n’était pas assez ferme. En visant directement
l’appareil militaire du Hamas, Israël donne l’impression à la population
que le parti est loin d’avoir fait des compromis. En ce sens-là, ça
peut servir le Hamas.
Après, cela peut aussi avoir un effet sur la scène politique
intérieure palestinienne. Le Hamas sort renforcé vis-à-vis de l’autorité
palestinienne de Ramallah. Depuis quelques jours, cette dernière peine à
communiquer. En réalité, Mahmoud Abbas se retrouve un peu piégé. S’il
condamne trop vivement l’intervention israélienne, s’il apporte trop
ouvertement son soutien à la population de Gaza, il va apparaître comme
soutenant le Hamas [son opposant politique]. Mais s’il ne le fait pas,
il donne le sentiment qu’il privilégie les intérêts d’appareil à la
population.
Du coup, les groupes jihadistes salafistes qui ont fait leur apparition ces dernières années s’en trouvent-ils affaiblis?
Julien Salingue: Il est difficile de mesurer leur réalité. Mais ils se sont construits
en expliquant que le Hamas était en train de devenir l’équivalent de
l’Autorité palestinienne, qu’il n’allait pas assez loin. Par conséquent,
dans la phase actuelle, ils perdent de leur aura car le Hamas s’est
remis à participer de manière très visible au combat. En revanche, si le
Hamas va vers la négociation d’une trêve ou d’un cessez-le-feu et que
dans les semaines ou les mois à venir la situation de Gaza ne s’améliore
pas, les groupes plus radicaux empocheront la mise.
Pendant longtemps, le régime
d’Hosni Moubarak en Egypte s’est montré assez neutre vis-à-vis d’Israël.
L’arrivée au pouvoir de l’islamiste des Frères musulmans (organisation
proche du Hamas) Mohamed Morsi change-t-elle la donne?
Julien Salingue: Ce qui s’est passé depuis deux jours montre assez nettement que les
choses ont changé. On a eu les déclarations assez vives de Mohamed
Morsi, le rappel de l’ambassadeur d’Egypte en Israël, l’ouverture de la
frontière à Rafah pour permettre aux blessés palestiniens de sortir, la
visite du Premier ministre égyptien aujourd’hui. Israël ne peut plus
compter sur le régime égyptien pour faire taire toute contestation de la
politique israélienne en Egypte et pour contribuer à l’isolement des
Palestiniens. Pour l’instant, cela ne joue pas beaucoup sur la politique
israélienne, mais cela peut, à moyen terme, peser.
L’opération va-t-elle encore durer longtemps? Y aura-t-il une opération terrestre?
Julien Salingue: Difficile à dire. Avec le contexte électoral israélien, le
gouvernement ne peut pas donner l’impression d’avancer à moitié. Est-ce
que ça veut dire qu’il va entrer partiellement, totalement dans la bande
de Gaza, qu’il va accroître la pression militaire? Ce qui est sûr,
c’est que ça ne va pas s’arrêter aujourd’hui. Ce qui va jouer, c’est en
partie l’attitude du Hamas et les effets des tirs de roquettes. S’il y a
d’autres morts côté israélien, ou d’autres roquettes qui tombent à côté
de lieux symboliques, cela peut convaincre l’armée israélienne de
pénétrer dans la bande de Gaza et de taper plus fort.
Propos recueillis par Gaël Cogné le 16/11/12. Publié sur www.francetvinfo.f
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