Accord
historique ? Révolution énergétique en route ? Moment décisif pour
l’avenir de l’humanité ? C’est en tout cas ce que semblait avoir en tête
François Hollande en clôturant la COP21 au Bourget, lorsqu’il déclarait
« il est rare d’avoir dans une vie l’occasion de changer le monde ».
Cette fausse modestie pourrait prêter à sourire si elle n’était pas le
masque de l’hypocrisie de l’accord de Paris, signé par 195 pays le 12
décembre. La plus grande des arnaques, mais véritable réussite
médiatique, est d’avoir fait acter l’objectif de maintenir la hausse de
la température du globe à la fin du siècle « bien en dessous de 2 ° »
par rapport à l’ère préindustrielle, et de « poursuivre [les] efforts »
pour la limiter à 1,5 °C. Ce chiffre de 1,5 °C était réclamé
particulièrement par les Etats insulaires, dont l’existence même est
menacée à moyen terme. La reconnaissance de cette demande semble donc
aller dans le bon sens. Mais en réalité, tout est en place pour que cet
objectif ne soit pas atteint. Ainsi, la COP21 et l’accord qui en sort
sont remplis de déclarations de principes généraux et généreux, du moins
dans les préambules de l’accord (principe des responsabilités communes
mais différenciées, défense des droits humains, de ceux des peuples
indigènes, des personnes handicapées et des enfants, du droit à la
santé, au développement, de l’égalité femmes / hommes, d’une
« transition juste » pour le monde du travail, etc.), mais rien n’assure
leur possible mise en application.
Si une partie des enjeux avait déjà été réglée en amont de la COP,
cette dernière a surtout confirmé l’absence de volonté de la plupart des
Etats à être contraints de réduire leurs émissions de gaz à effet de
serre (GES). En effet, le nouveau cadre juridique multilatéral qui va
être mis en œuvre concerne les engagements des 195 Etats signataires qui
s’engagent donc à réduire leurs émissions de GES, et à se revoir tous
les cinq ans pour tirer des bilans et tenter de fixer des objectifs plus
ambitieux. Cependant, chaque Etat fixe ses propres objectifs, et aucune
instance n’existe pour sanctionner le non-respect de ces objectifs.
D’ores-et-déjà, les objectifs que les Etats ont fixés avant la COP
engagent la planète sur une trajectoire de réchauffement de plus de 3°C.
Le terme de crime climatique à venir n’est pas trop fort pour désigner
ce qui se prépare là lorsqu’on mesure les effets d’un tel réchauffement.
D’autre part, alors que l’urgence climatique et la nécessité
d’enclencher des changements de système rapides sont patentes, l’accord
n’entrera en vigueur qu’en 2020 – 5 ans encore pour continuer à ne rien
faire ou presque pour le climat- ; de surcroit, le calendrier de
réduction d’émissions de GES est plus qu’imprécis puisque l’accord
énonce que « les parties visent à atteindre un pic mondial dans les
émissions aussi vite que possible et à entreprendre ensuite de rapides
réductions des émissions conformément à la meilleure science disponible,
afin d’atteindre dans la seconde moitié du siècle un équilibre entre
les émissions anthropiques par les sources et les absorptions par les
puits de gaz à effet de serre ». Le 4ème rapport du GIEC en 2007
préconisait que le pic des émissions mondiales devait être atteint en
2015 pour décroitre ensuite. Si cette date de 2015 a pu ensuite être
révisée, il n’en reste pas moins que ce pic mondial doit être atteint au
plus tard dans les 5 à 10 prochaines années, et non pas « aussi vite
que possible » ; ce flou du calendrier confirme la tendance à remettre à
plus tard les politiques qu’il faudrait mettre en œuvre dès maintenant.
La question des financements, notamment pour assurer l’adaptation des
pays du Sud affectés par les changements climatiques demeure également
floue, puisque l’engagement pris à Copenhague en 2009 de débloquer 100
milliards annuels jusqu’en 2020 ne sera pas nécessairement poursuivi,
car il est soumis à de futurs arbitrages, et surtout aucun engagement
n’a été pris pour que ces financement augmentent après 2020 ; de plus
leur nature (fonds privés ou publics, prêts, transferts de fonds déjà
existants…) n’est pas éclaircie.
D’autres problèmes demeurent comme la dérogation des secteurs aérien
et maritime dans les objectifs de réduction de GES (équivalant à 10% des
émissions mondiales), l’absence de prise en compte des émissions de GES
des armées, la possibilité de recourir à la « compensation carbone »
(quand par exemple des industriels mettent en œuvre dans d’autres pays
des projets vertueux qui émettent peu de GES, en échange de quoi ils
peuvent continuer à ne pas réduire leurs propres émissions domestiques),
ou encore la promotion de la croissance économique, à laquelle les
politiques climatiques ne doivent surtout pas toucher.
Si on ajoute à cela que les mots « énergie », « fossiles »,
« renouvelables » n’apparaissent pas dans l’accord, on aura compris que
les Etats réunis au Bourget, et en premier lieu les Etats-Unis et
l’Union européenne, en particulier la France et Laurent Fabius qui ont
été les artisans de cet accord, ont jeté de la poudre aux yeux des
peuples du monde entier, en faisant tout pour que ça rate tout en se
délivrant un satisfecit général.
L’espoir est bien ailleurs.
La justice climatique contre les criminels du climat
En effet, dans un contexte de mobilisations de rue extrêmement
difficile suite à la proclamation de l’état d’urgence, les mouvements
sociaux, populaires, écologistes, paysans… se sont bien fait entendre.
Après les attentats du 13 novembre, les équilibres, déjà difficiles, de
la coalition climat 21, ont été d’autant plus fragilisés, les avis sur
ce qu’il était possible et nécessaire de faire dans un tel contexte
étant très divers. Et pourtant, deux semaines de mobilisations intenses
ont bel et bien été menées, entre les marches et chaines humaines pour
le climat du 29 novembre et les actions, manifestations et
rassemblements du 12 décembre. S’il est encore trop tôt pour tirer un
bilan de ces mobilisations, il apparait, certes à une échelle encore
modeste, qu’une génération militante sur les questions climatiques est
en train de se former, notamment grâce à la coopération des différents
réseaux et organisations, en France et ailleurs, mais aussi l’émergence
de nouveaux mouvements comme Alternatiba. La notion de justice
climatique est désormais un acquis commun à tous ces récents acteurs des
mobilisations ; reste maintenant à faire vivre concrètement cette
notion, à l’ancrer dans le quotidien de nos luttes, depuis les combats
contre les grands projets inutiles jusqu’aux campagnes contre les
investissements fossiles. Si nous ne le faisons pas, personne ne le fera
à notre place.
Vincent Gay
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