Indéniablement, la Marche pour la Justice et la Dignité du 19 mars a constitué une réussite et un pas en avant. Pour apprécier l’apport de cette Marche, il suffit de se souvenir de la chape de plomb qui s’était abattue sur la société française après les terribles attentats du 13 novembre 2015 instrumentalisés pour renforcer le racisme et légitimer des mesures sécuritaires autant antidémocratiques qu’inefficaces contre des tueries de ce type.
La participation au 19 mars a été autour de 20.000 personnes, et, surtout, même les chiffres sous-évalués de la préfecture actaient que cette Marche a rassemblé deux fois plus de personnes que celle du 31 octobre 2015. Cette progression doit être relevée. Mais la qualité politique de cet événement est plus importante encore que les données quantitatives. Elle était visible dans la succession du carré de tête composé de familles, des cortèges de l’immigration et des différents secteurs de l’antiracisme mobilisé, des sans-papiers, des collectifs locaux, du mouvement syndical et altermondialiste, des partis de gauche anti-austérité, des antifascistes et des « autonomes ».
Cette qualité politique tient en grande partie au processus qui a abouti à cette Marche: à partir d’un texte signé par plusieurs familles victimes, des textes de soutien successifs ont permis d’élargir le périmètre social et politique de cette initiative. Cette évolution n’a à aucun moment remis en cause une caractéristique essentielle de cette initiative : ce sont les premier-e-s concerné-e-s par le racisme institutionnel qui ont occupé les premières places, dans tous les sens du terme, leurs paroles qui ont été mis en avant pendant cette Marche. Et qui était mieux placé pour porter cette parole et fédérer que les plus intimement touchés parmi ces premiers concernés, c’est-à-dire les familles de victimes de violences policières ?
Ce dispositif fait sens pour conjurer tout risque de « récupération », de mise au second plan des populations confrontées au racisme. Elle a été nécessaire pour faire exister cette Marche et elle est parfaitement légitime. Il revient aux organisations démocratiques, du mouvement ouvrier et écologique (associations, syndicats, partis) d’être en soutien aux initiatives d’acteurs en lutte issus des populations concernées par l’oppression raciste, de reconnaître leur légitimité lorsqu’ils se saisissent de leur autonomie. C’est la condition pour un rapport d’alliance sain, pour des combats en commun capables de mettre en crise le capitalisme dont le racisme est un élément essentiel de reproduction.
Et c’est ce qu’a été cette Marche pour la Justice et la Dignité : un socle pour construire une alliance pluraliste, en tension, traversée de débats mais susceptible de susciter un rassemblement large et portant un potentiel de radicalité.
Les enjeux étaient donc bien au-delà de la couverture paresseuse et sournoisement hostile de la presse mainstream qui, avant sa tenue, n’a abordé cet événement que sous l’angle de la non-participation de certains collectifs et secteurs militants à cette marche. Il est évident dans l’esprit de tous les participants à la Marche que celle-ci était pour tous les victimes des violences policières et leurs proches, qu’ils aient été là ou non.
Depuis la genèse de cette Marche, Ensemble a pris toute sa part dans sa construction et on élargissement. L’implication de ses membres, particulièrement son secteur jeune, a été continue directement ou à travers les organisations syndicales ou associatives où ils sont engagés. Cela s’est traduit le 19 mars par la présence d’un cortège dynamique et significatif d’Ensemble.
Ce succès pose la question des suites à donner. Il n’échappe à personne que les organisations et collectifs ayant appelé à cette Marche ont eu un investissement inégal et qu’il existe des divergences significatives entre elles… Néanmoins, l’essentiel est qu’ils ont battu le pavé ensemble alors que l’antiracisme en France souffre énormément jusque-là de ne pas être en mesure de porter des mobilisations communes, d’envergure, ce qui envenime en retour les débats. Par exemple, quel que soit les divergences des uns et des autres, le combat antiraciste en France aurait-elle été plus ou moins forte s’il y avait eu des mobilisations publiques, larges initiées par un cadre unitaire légitime contre les décrets municipaux islamophobes sur les plages avec, au premier plan, celles et ceux qui sont confronté-e-s à ces attaques? Poser la question c’est y répondre…
Pour articuler cette diversité et faire travailler ensemble les différents participants de la Marche, le texte de soutien signé par Ensemble ! (et d’autres organisations) peut donner la piste d’une plateforme commune inclusive, plurielle et restant dans l’esprit de la Marche du 19 mars. Ce texte consistait en ceci :
« Nous appelons à manifester le 19 mars pour la Justice et la Dignité parce que :
- La revendication légitime de Vérité et de Justice portée par ces familles victimes de violences policières doit être soutenue.
- La banalisation des discours, des actes racistes et leur caractère structurel sont inacceptables.
- Les droits démocratiques doivent être défendus face à l’Etat d’urgence et des mesures liberticides qui touchent particulièrement celles et ceux qui subissent le racisme.
- L'accueil des migrant-e-s dans des conditions dignes et la régularisation de tous les sans-papiers doivent être opposés à l'Europe forteresse. »
Ainsi, ce texte met en avant le principe de la place centrale aux premiers concernés tout en renvoyant de manière souple aux principales dimensions du racisme structurel en France, permettant ainsi des mobilisations communes. Or, dans la période actuelle, la nécessité de la constitution d’un front unique antiraciste capable de s’affronter au racisme structurel en France dans le débat et dans la rue est une évidence. Ce n’est qu’un début on continue le combat !
Emre Öngün
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