«
Je l’ai vu prendre sa matraque et il me l’a enfoncée dans les fesses,
volontairement. De là, dès qu’il m’a fait ça, je suis tombé sur le
ventre, je n’avais plus de force, on dirait que mon corps m’avait
laissé. …. »
Le récit que fait Théo à BFMTV est glaçant. Et les violences ne
s’arrêtent pas. A l’abri des regards dans la voiture des policiers, les
policiers continuent de s’acharner contre lui, rajoutant aux coups les
injures racistes.
” Dans la voiture, ils m’ont mis plein de coups, des patates, de
matraque dans les parties intimes et m’ont traité de négro, bamboula,
salope, de tous les noms. »
Aujourd’hui Théo est hospitalisé, les médecins lui ont diagnostiqué
"une plaie longitudinale du canal anal" et une "section du muscle
sphinctérien", et lui ont prescrit 60 jours d'incapacité totale de
travail (ITT).
Les 4 policiers impliqués ont été eux mis en examen pour violence
volontaire, l’auteur du coups de matraque à l’origine de la blessure
anale de Théo étant lui mis en examen en plus pour viol.
Depuis, l’affaire a pris une tournure nationale. Journalistes,
éditorialistes et politiques se bousculent pour donner leur avis. Tous
ou presque s’accordent à dire que Théo est « un garçon sans histoires.
Le maire d’Aulnay Bruno Beschozza rajoute même que c’est « un exemple
positif » pour le quartier Oui très bien, et alors ? Cet acte de
torture, ce viol aurait été commis contre un autre jeune, au casier
moins immaculé, est ce qu’ils auraient trouvé des circonstances
atténuantes à cet acte de barbarie ?
Comme un symbole le maire qui en rajoute sur l’exemplarité de Théo et
de sa famille est un ancien syndicaliste policier de droite, ex-
conseiller sécurité de Sarkozy, adepte de la politique du chiffre. C’est
le même qui met en avant dans l’édito du journal municipal le nombre
exact d’interpellations. C’est le même qui vante sa politique
sécuritaire implacable, l’armement de sa police municipale, la
multiplication des caméras de vidéo-surveillance.
L’affaire Théo n’est pas une exception mais la règle
Comme s’il y avait une déconnexion entre ce qui arrive à Théo et la
politique sécuritaire à l’œuvre dans les quartiers. L’affaire Théo n’est
pas simplement un cas isolé, une bavure « une opération qui tourne mal »
un accident comme l’affirmer l’IGPS.
D’ailleurs cette affaire en rappelle une autre récente dont le
jugement sera rendu le 20 février prochain. Un policier municipal de
Drancy est accusé d’avoir blessé à l’anus avec sa matraque un jeune
homme. Il comparaitra pour violence volontaire et non pour viol, et 6
mois de prison avec sursis et 1 an d’interdiction professionnelle ont
été requis contre lui.
L’affaire Théo n’est pas une exception, mais la règle.
L’interpellation violente de Théo, le viol, l’acte de torture commis par
un agent dépositaire de l’autorité publique sont l’expression visible
des pratiques policières discriminatoires invisibles médiatiquement à
l’œuvre dans les quartiers.
Face à cette barbarie, les habitant.e.s des quartiers, à commencer
par les plus jeunes ne peuvent une fois de plus que pousser un cri de
rage confrontés à cette police qui peut impunément humilier, violer,
torturer et détruire leurs corps. Cette confrontation physique avec le
racisme institutionnel qui vertèbre les pratiques policières et
judiciaires n’est pas simplement un affrontement idéologique abstrait
vis-à-vis des habitant.e.s des quartiers il fait des victimes très
concrètes. Tous les parents le savent, cela peut arriver à leur enfant, à
n’importe quel moment et aucun n’oublient de leur rappeler quand ils
sortent, de prendre leur papier et de ne surtout pas répondre aux
provocations policières. Les habitants des quartiers ont en eux depuis
longtemps cette conscience douloureuse en eux que la police à tous les
droits face à eux et qu’ils n’en ont aucun. L’arbitraire policier
humilie, intimide, blesse et il tue aussi.
Zyed et Bouna en 2005, Lamine Dieng en 2007, Ali Ziri en 2009, Wissam
El Yamni en 2011, Amine Bentounsi en 2012, Hocine Bouras en 2014, Adama
Traoré en 2016, la liste des morts est longue. Et à chaque fois c’est
la même histoire. La victime est présumée coupable et les policiers
présumés victimes. Le syndicat Alliance fait le tour des plateaux télés,
l’IGPN fait son enquête et couvre ses collègues policiers et la justice
fait trop souvent le service après-vente soit en acquittant soit en
donnant du sursis.
Le parquet a eu l’instruction de faire cesser ce qui se passe à Aulnay.
Comment s’étonner dès lors que les habitant.e.s des quartiers n’aient
aucune confiance en la justice et laissent éclater leur colère ? Dans
plusieurs ville de la Seine-Saint-Denis, dans les jours qui ont suivi
l’interpellation violente de Théo, des jeunes ont exprimé leur rage
dans la rue, face à l’impunité, face à l’humiliation. Signe d’une
volonté de la police de monter d’un cran dans la répression, à Aulnay,
des policiers ont tiré en l’air, à balle réelle dans la nuit de lundi à
mardi. Des tirs de sommation comme un signe avant-coureur de la
répression encore plus implacable qui risque de s’abattre sur les
habitants des quartiers.
Mercredi soir, 5 jeunes ont été jugés en comparution immédiate et
condamnés après une enquête bâclée sur la seule foi des déclarations des
policiers pour « embuscade en réunion » (3 ont pris 6 mois avec sursis
et 2 6 mois fermes).
Virginie Marques, avocate de 4 des prévenus est on ne peut plus
claire quand elle répond à Médiapart « On nous demande de démontrer
leur innocence. Mais c’est au parquet de démontrer la culpabilité. Il
n’y a pas eu d’enquête…. » Pour elle « le parquet a eu l’instruction
de faire cesser ce qui se passe à Aulnay. Le parquet met un point
d’honneur à ce que ça se termine. Mais il n’y pas de violence. Alors ?
“Embuscade.”
Le harcèlement policier est une réalité banale et quotidienne dans les quartiers
Mais le fait d’être scandalisé devant la brutalité de
l’interpellation de Théo ou devant l’énumération interminable des
victimes de violence policières ne doit pas occulter le harcèlement
policier quotidien dont sont victimes les habitants. Cette violence
policière invisible médiatiquement ne se limite pas aux coups. Elle est
psychologique, elle est verbale, elle s’exprime dans la multiplication
des contrôles d’identité, dans le tutoiement, dans les palpations, les
fouilles au corps, dans les insultes racistes proférés, dans
l’impossibilité pour les habitants de répondre sans risquer de se faire
accuser d’outrage ou sans se prendre une gifle ou un coup de matraque.
Comme le dit Didier Fassin, « détourner le regard en ignorant cette expérience ordinaire revient à en redoubler l’injustice ».
Historiquement, la police dispose d’un véritable pouvoir
discrétionnaire dans les quartiers. L’Etat lui laisse les mains libres,
sans forcément dire explicitement ce qu’elle est censée faire mais en
n’en attendant pas moins d’elle. Certes les pratiques discriminatoires
ne sont pas officiellement reconnues dans les textes sinon de manière
indirecte. Mais quand l’Etat voit les règles implicites des pratiques
policière remises en question par la justice, il révèle
l’intentionnalité de sa politique en la défendant pour ce qu’elle est,
une politique discriminatoire. Ainsi, il s’est pourvu en cassation après
avoir été condamné pour « faute lourde » pour 5 cas de contrôles au
faciès avérés en 2015 dans le quartier de la défense. Son argumentation
était que les policiers étant « chargés d’enquêter notamment sur la
législation des étrangers » devaient naturellement contrôler « la seule
population dont il apparaissait qu’elle pouvait être étrangère ». Il ne
pouvait pas être plus clair.
En France, l’Etat français et les différents gouvernements de gauche
comme de droite qui se sont succédés n’ont jamais pris à bras le corps
la question des violences policières. Ils ont beau jeu après de
s’étonner quand il y a un blessé ou un mort de plus et de faire mine de
ne pas comprendre quand ils sont interpellés par les associations et/ou
les habitant.e.s.
Et quand ils se préoccupent sérieusement de cette question, c’est
toujours pour justifier, couvrir voire encourager les pratiques
policières d’exception dans les quartiers. En 2009, lorsqu’Amnesty
International a rendu public son rapport au titre évocateur « France
< : policiers au-dessus des lois », le directeur adjoint du
programme Europe d’Amnesty a déclaré « Dans un climat où les violences
policières ne sont pas toujours contrôlées, l’impunité de fait dont
bénéficient régulièrement les agents de la force en France est
inacceptable ».
L’ambiguïté c’est que l’Etat ne reconnait pas explicitement et
ouvertement les pratiques discriminatoires de la police dans les
quartiers. Le discours officiel, les textes de loi semblent en théorie
reconnaitre l’égalité des citoyens devant la loi et la justice proclame
qu’elle juge les yeux bandés et qu’elle est rigoureusement la même pour
tout le monde.Tout cela est faux bien sûr mais Cette égalité proclamée
de toutes et tous devant la loi et face à la justice et à la police
permet à l’Etat de renvoyer la responsabilité aux habitant.e.s en cas de
violence policière manifeste.
Il y a donc un vrai travail de déconstruction à faire du discours
officiel sur la justice et la police et un vrai travail d’analyse, de
veille et de témoignage sur la réalité des rapports entre la police et
la population dans les quartiers. La police étant le bras armé de
l’Etat, toute critique de la police est forcément aussi une critique des
politiques d’Etat. Les violences policières sont l’expression d’un
racisme institutionnel, un racisme venu d’en haut, forgé et alimenté par
des discours, des politiques publiques voir parfois des lois et
règlements. Toute remise en cause de ces pratiques policières passe
nécessairement aussi par la déconstruction de ce racisme institutionnel.
Aujourd’hui, l’Etat est de plus en plus explicite sur ce qu’il attend
de sa police. Comme un symbole, le gouvernement pour une de ses
dernières lois, a fait adopter en 1ere lecture à l’assemblée le projet
de loi de sécurité publique qui assouplit les règles de légitime défense
pour les policiers et alourdit les peines pour outrage aux forces de
l’ordre. L’impunité policière désormais n’est plus implicite, elle est
légalisée.
La boucle est bouclée. Hollande qui a commencé son quinquennat en
renonçant à mettre en place les récépissés pour lutter contre les
contrôles au faciès l’achève en donnant aux policiers les pleins
pouvoirs dans les quartiers pour réprimer, humilier, voir tuer.
Les violences policières, la justice à 2 vitesses c’est aussi le
résultat de choix politiques assumés. Il y a une volonté des différents
gouvernements qui se sont succédés ces 30 dernières années d’imposer des
politiques sécuritaires répressives comme réponse à la crise et à la
détresse sociale (dans les prisons de la misère) La stratégie
systématique de stigmatisation vise à décrédibiliser la colère sociale
qui s’exprime dans les quartiers, pour isoler les habitant.e.s du reste
de la société et empêcher les convergences. Aujourd’hui, les
manifestations se multiplient pour exiger vérité et justice pour Théo.
C’est plus que jamais nécessaire d’être aux côtés des jeunes, des
familles qui se mobilisent contre les violences policières. C’est
l’occasion de construire des convergences larges avec les associations,
les collectifs d’habitants, les partis politiques pour exiger la fin des
contrôles au faciès et la mise en place des récépissés, la dissolution
des BST et autres brigades spécialisés dans la traque des jeunes des
quartiers populaires, la fin de l’impunité policière dans les quartiers.
Il faut imposer dans le débat politique électorale ces revendications
portées par les collectifs en interpellant directement les candidats.
La Marche pour la justice et la dignité le 19 Mars qui partira de Nation
peut être un point d’appui pour construire un rapport de force à même
de casser le consensus existant dans la société française sur l’impunité
policière dans les quartiers.
Laurent Sorel
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